Théâtre des opérations

Il y a quelque chose d’insaisissable dans le geste explosif de Cédric Ponti. Si la déflagration par le feu est désormais intégrée aux pratiques de l’art – des coups de fusil de Niki de Saint Phalle au feu d’artifice dans une voiture de Elisa Pône -, il reste que dans son cas, ce geste parait mélanger le gout enfantin du danger des pétards, l’action spectaculaire de brigand et le sabotage à connotation politique. C’est, au final, la sage répartition de l’art en disciplines qui en sort dynamitée – chez Cédric Ponti la peinture ou la sculpture deviennent des performances. Il avait déjà fait détonner des boites noires rappelant l’esthétique minimale, laissant écrit au mur le nom de code de bombes, ou éclaté des têtes en argile à la dynamite pour les transformer en gueules cassées, mais sa démarche s’inscrit clairement dans le contexte politique contemporain. « Je m’intéresse à l’actualité véhiculée par les médias car c’est une mécanique à facettes qui reflète à la fois une version dominante de la réalité mais aussi ses paradoxes, c’est en permanent conflit et transformation », souligne l’artiste. Mettant en évidence la violence qui se cache derrière certaines expressions – « frappes chirurgicales » ou « dommages collatéraux » – qui lui servent parfois de titres, il rappelle en écrivant aux explosifs sur un mur: « être neutre c’est déjà avoir une position ». 

Pour l’installation à l’Hôtel des Arts de Toulon, Cédric Ponti expose un ensemble de peintures performatives réalisées à l’explosif: sur des écrans vidéo on voit d’abord des monochromes blancs qui, une fois déclenchée laissent voir le dessin au pochoir d’un paysage urbain. Reprenant les codes du « direct », tel qu’il le nomme, faisant écho à un imaginaire médiatique des conflits sociaux (mise à feu, explosifs, désobéissance civile), les paysages qu’il dévoile sont ceux d’une ville partagée géographiquement et socialement entre centre et périphérie. D’origine Corse et ayant développé un travail artistique en interaction avec des quartiers socialement défavorisés à Marseille ou à la Seyne-sur-Mer, Cédric Ponti est sensible à cette dynamique de la géographie urbaine. « Il y a une déconnexion de ces réalités sociales, des frontières invisibles se sont formées, la périphérie sert à nourrir le centre en énergie », évoque l’artiste. Dans un contexte où la mise en scène d’un centre ville ne peut s’établir sans le travail et les moyens de fabrication de ce décor réalisé à partir de la banlieue, celle-ci met à nu les câbles de fournissement d’énergie, les unités de production et la condition économique sous-jacente de ceux qui apportent leur énergie au théâtre urbain quotidien. C’est à la violence impliquée par l’exercice du contrôle de la violence qui semble répondre l’artiste avec son geste de déflagration. Le paradoxe, toujours à l’œuvre dans sa démarche – comme quand il recouvre ses expositions d’un émaillage précieux – s’étend à ce geste finalement joyeux, libérant des couleurs qui donnent forme à des tableaux d’une beauté noire, violente et précise. Tout en jouant sur l’annonce réitérée de la mort de la peinture, il donne vie à un art évolutif, en prise avec la réalité et la fiction médiatique contemporaine, agissant de l’intérieur et non pas en surplomb, pour mieux renverser les hiérarchies entre le centre et la périphérie. Dans son langage artistique il est toujours question d’un déplacement radical de point de vue: que devient le centre du pouvoir dès lors qu’on considère l’énergie humaine collective concentrée dans ses marges?

Pedro Morais

(Nov. 2018)